Une lettre de Philippe Cornuau alias Christian Piton
Philippe Cornuau, connu pour avoir ouvert une voie historique dans
la face nord des Droites (massif du Mont Blanc), était journaliste.
C'est lui qui a recueilli les confidences de Louis Lachenal, en vue de
la publication d'un ouvrage autobiographique que Lachenal ne se sentait
pas capable d'écrire seul. A la mort de ce dernier, (tombé dans une
crevasse de la Vallée Blanche le 25 novembre 1955), Maurice Herzog et
son frère Gérard sont venus chez Philippe Cornuau récupérer le texte
dactylographié pour le publier. Le livre paru sous le titre "Carnets du
vertige" est le résultat d'une rééctiture effectuée par Gérard Herzog
(qui a signé le livre), après un "remaniement" effectué par Maurice
Herzog et Lucien Devies (président de la Fédération Française de la
Montagne), qui ont "corrigé" certains passages et supprimé un chapitre
entier relatif à l'Annapurna. Le texte intégral a été publié bien plus
tard (1996) par les éditions Guérin, à partir d'un manuscrit conservé
par Jean-Claude Lachenal, l'un des deux fils de Louis Lachenal.
Philippe Cornuau est donc un témoin essentiel dans la véritable histoire de l'Annapurna.
Il
m'a envoyé cette lettre dans laquelle il décode les correspondances
avec les protagonistes de la véritable histoire de l'Annapurna. Un
(presque) sans faute : la remarque concernant le président imaginaire
de la Fédération de la Montagne Stanislas Laurier et le vrai - Lucien
Devies (qui fut un très grand président) est parfaitement exacte : il
n'y a aucune correspondance entre les deux personnages. Philippe
Cornuau a juste oublié de rapprocher son nom avec celui de Christian
Piton (CP). Peut-être par crainte de subir le même sort !...
Quant
au "criquet" (l'altimètre), c'est bien Larcher qui l'a remis à la bonne
hauteur en allant gravir seul le Namche Barwa. La chose n'est peut-être
pas assez explicitée, mais c'est ce que j'ai compris en lisant -
pardon, en écrivant - l'histoire...
Merci Philippe, pour ton témoignage, et toutes mes amitiés !
7780 mètres"A côté du roman d'aventures et de
ses extravagances, le piquant de l'ouvrage réside dans les références
évidentes à l'Annapurna. Les protagonistes d'abord sont facilement
identifiables même sans la similitude voulue des initiales. Le chef
d'expédition Hervé Marion-HM-Herzog Maurice et Louis Souste dit Loustic-
Louis Lachenal (seule exception quant aux initiales) forment la cordée du
sommet. Ils sont recueillis et aidés par Tony Larcher-TL-Terray Lionel et Raymond
Grivel-RG-Rebuffat Gaston. L'équipe comprend encore Claude Joulot-CJ-Couzy Jean
, Sébastien Mirton-SM-Schatz Marcel et André Poulain "le vétéran"-AP-
Allain Pierredit le Vieux, qui n'était d'ailleurs pas à l'Annapurna. Puis le médecin
Olivier Jacquet-OJ-Oudot Jacques, le photographe Igor Morin-IM-Ichac Marcel
et l'officier de liaison Nicolas Fromont-NF-de Noyelle Francis. Cinq autres
participants sont encore nommés qui n'interviennent jamais dans le récit et
sont sans équivalent à l'Annapurna. Il ne faut chercher aucun rapprochement entre
les présidents-organisateurs Stanislas Laurier et Lucien Dévies : outre la
non-concordance, cette fois, des initiales, la confusion est impossible entre deux
personnalités aussi dissemblables. Tout le roman tourne autour d'une
interrogation : la cordée de pointe est-elle allée jusqu'au sommet ? La même
question s'est posée à beaucoup dès le retour des "vainqueurs"
de l'Annapurna, et pour beaucoup elle se pose encore. Les raisons de
douter sont très bien exposées dans le roman. De même pour les raisons
d'occulter à tout prix une possible réponse négative, que ces dernières procèdent
de l'intérêt personnel ou de considérations nationales. Les circonstances ayant
pu entourer un éventuel repli avant le sommet sont imaginées et évoquées
avec beaucoup de vraisemblance.On peut se demander si Ballu n'a pas voulu, avec
ce livre, entr'ouvrir une porte vers un renouveau dela polémique. Et,
semble-t-il, s'offrir accessoirement le plaisir d'égratigner l'aura d'Herzog à
travers son double Marion (modeste passé alpin de celui-ci, son
comportement aux approches du sommet tel que décrit par Souste).En réponse
à la question fondamentale du sommet, le roman comporte en apparence une
contradiction. L'élément capital est la confession de Souste qui reconnaît
formellement que la cordée est redescendue sans atteindre tout à fait le
sommet et s'est livrée délibérément à une imposture. Il n'y aurait aucune vraisemblance,
dans la ligne du récit, pour que cet aveu soit mensonger, et il est au
contraire psychologiquement fondé. Or dans les dernières pages on apprend que
le fameux altimètre, témoin indiscutable du plus haut point atteint, affiche 7780 mètres, soit à
deux mètres près l'altitude du sommet. Une seule circonstance peut résoudre la
contradiction : Larcher, installé au Népal, aurait monté l'altimètre à ces
7780 mètres, au Namche Barwa ou ailleurs, afin de pouvoir, grâce à ce
subterfuge, rasséréner son filleul et sa Dulcinée. La chose n'est sans
doute pas assez clairement explicitée. C'est fort malhonnête mais qu'importe
puisque le film peut ainsi aboutir à l'indispensable baiser final. Happy
end. Lumière."
Philippe Cornuau
En ce qui me concerne, je ne me suis jamais prononcé en tant qu'historien sur cette affaire de sommet. Faute d'éléments objectifs déterminants. D'ailleurs, si on met en doute la parole d'Herzog, pourquoi ne le ferait-on pas pour d'autres alpinistes. Par définition, il y a rarement des témoins de ce genre d'exploits en dehors des alpinistes eux-mêmes. Par contre, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur les célébrations nationales auxquelles cette "victoire française" a donné lieu. En émettant quelques réserves...
Voir à ce sujet l'article que j'ai publié dans la revue La Montagne en 1981. Et qui a déclenché une véritable tempête !