Encore Samivel...
Hé oui!... J'aime
bien Samivel. Un artiste inimitable qui a su mieux que n'importe qui
représenter la haute montagne, et imager le monde de l'alpinisme. En
particulier avec cet humour qui était en vogue dans les cercles de
grimpeurs comme le célèbre "Groupe de Bleau". Voici un nouveau document
intéressant. Il s'agit d'une lettre qu'il a adressée en 1932 à son amie
Claire-Eliane Engel, auteur de référence dans le domaine de la littérature de montagne qui écrira un
très grand nombre d’articles dans des revues françaises et anglaises (elle était
bilingue), et plusieurs livres dont : « La littérature alpestre en
France et en Angleterre » (1930), et « Ces monts affreux »
(1932) et « Ces monts sublimes » (1934), une anthologie de
littérature alpine illustrée par Samivel.
Nous sommes en 1932. Samivel vient de terminer "Sous l'oeil des choucas", un album superbe, plein d'humour et de poésie, consacré à l'alpinisme.
L'éclairage qu'il en donne m'a semblé intéressant. C'est
pourquoi j'ai transcrit sa lettre intégralement. Elle est datée de "mardi 14". Il s'agit du 14 juin 1932. La voici :
Mardi 14
Mademoiselle,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier et de votre aimable lettre et de la sympathie que vous voulez bien manifester aux « Choucas » et à son auteur.
Venant du brillant critique du « Tableau littéraire » et de « La littérature alpine en Angleterre », elle m’est infiniment précieuse.
L’intention que vous m’exprimez d’écrire un article sur les Choucas dans « L’alpine Journal » m’est, à quoi bon vous le cacher, extrêmement agréable ! D’abord parce que tout auteur est curieux de voir son œuvre jugée par un tempérament différent, et ensuite, parce qu’également experte dans les deux domaines intellectuels de France et d’Angleterre, nulle mieux que vous ne serait à même d’analyser un humble ouvrage dont l’auteur a subi fortement une double influence.
Français ignorant l’anglais, il se trouve cependant que ma conception personnelle de l’alpinisme est purement symbolique. A mon humble avis, l’alpinisme est une démarche symbolique.
Peu de gens s’en doutent… Dalloz… quelques autres. Cependant cela crève les yeux.
C’est une traduction sur le plan physique de la quête mystique. C’est vieux comme le monde : « Les enfants, d’accord avec les poètes, croient que le paradis est au ciel ». Beaucoup prennent l’ombre pour la proie. Delà, les faiblesses d’une grande partie de la littérature alpine. Le monde des formes alpines est, que nous le voulions ou non, également chargé de symboles, et un grand livre à peine ouvert. Quelle richesse inexplorée pour un écrivain… un dessinateur ! Je considère l’humour comme un moyen d’atteindre à l’humain essentiel. J’ai tenté de réaliser cet idéal dans plusieurs dessins des Choucas (pages 5,12,14,15,18,21,28,29,38,39). Inutile de dire que la réalisation est prodigieusement inférieure au rêve. Avec du travail, je ferai mieux, j’espère. Je dois encore préciser un point. « L’hostilité » de la montagne n’a pas de sens pour moi. Je l’ai toujours vue pleine d’une vie intense. Les pierres d’une moraine sont, pour moi, vivantes et individualisées. Tout ceci me vient d’avoir eu ce grand bonheur si rare : une enfance en montagne.
Je fais miennes absolument les lignes de Ruskin que vous avez reproduites page 329 du « Tableau littéraire ». Quel malheur que Ruskin n’ait pas écrit « Les pierres de Chamonix ». Quelle perte !
Voici donc, mademoiselle, quelques détails qui vous préciseront ce que j’ai tenté de mettre en quelques endroits des « Choucas ».
Veuillez excuser l’incohérence de ces lignes écrites au courant de la plume, mais que j’ai voulues tout au moins très sincères.
Permettez-moi de vous remercier encore pour votre lettre et de l’intérêt que vous avez bien voulu me manifester et croyez, mademoiselle, à mes sentiments les meilleurs.
Samivel.
Au cas où il vous serait agréable d’illustrer cet article avec 1 ou 2 dessins, il me suffirait d’en prévenir mon éditeur.
Et voici les dessins cités par Samivel :
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