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Le blog d'Yves Ballu, Cairn
21 juin 2009

Scandale à Chamonix : les shorts de Françoise Rébuffat

La vallée de Chamonix, le bureau des guides, les tenues vestimentaires choquantes de Françoise Rébuffat... dans les années 50. Et même plus tard...
Ce témoignage de Françoise Rébuffat (qu'elle m'a adressé en 1995, à l'époque où je travaillais à la biographie de son mari : Gaston Rébuffat, une vie pour la montagne Editions Hoebeke), est intéressant à plus d'un titre. Non seulement, bien sûr pour son côté décapant sur la vénérable Compagnie des guides de Chamonix, et sur ses membres, mais aussi sur le rôle que Françoise a joué auprès de son mari. A la lecture de ce texte, on comprend mieux pourquoi Rébuffat s'est finalement peu exprimé sur certains sujets polémiques qui lui tenaient pourtant à cœur (l'Annapurna, bien sûr, dont il est revenu profondément meurtri de "
ce que Herzog leur avait fait subir" , mais aussi l'équipement des Grands Montets, et d'autres sujets sur lesquels elle l'a empêché de s'exprimer ) : "en critiquant, on retourne le public contre soi". Mauvais pour l'ambiance, mauvais surtout pour le business, dans la mesure où le célèbre guide au pullover Jacquard avait construit une excellente image auprès d'un public bien plus large que le cercle des alpinistes, qui appréciait, à juste titre, sa vision apaisée, fraternelle et poétique de la montagne. Décevoir ce public, c'était compromettre le succès des livres, photos, films et conférences. C'était remettre en cause un niveau de vie confortable auquel Françoise était très attachée. Sur ce sujet, je communiquerai prochainement un autre texte de FR, tout à fait explicite.

Gaston et Françoise en 1946 (fiancés)

Gaston_et_Fran_oise_R_buffat_1946

Voici le témoignage de Françoise Rébuffat. Dans toute sa spontanéité :


"Lorsque je l’ai connu, il était tout empreint de cette ambiance de village enfermé sur lui-même, de l’étroitesse d’esprit chamoniarde – étroitesse de la vallée, d’où étroitesse de jugement. Les gens sont cancaniers, car, hormis le temps, la neige et parler des autres, ils n’avaient (et encore maintenant) rien à se dire. Sortir les défauts des autres, est plus divertissant que d’en dire du bien, et Gaston n’y échappait pas.

Gaston se trouvait, un peu malgré lui, invité à rester dans cette vallée – ce auquel, même s’il y avait songé, il ne pensait pas y parvenir – il aurait volontiers oublié ses origines, changé de peau, pour être plus guide de la Compagnie – un authentique guide de la Compagnie. Il avait pris les qualités et les travers des Chamoniards.

  

J’ai tout fait pour œuvrer dans un sens – qui me semblait le bon- soit de laisser de côté ces jugements sur les autres, sauf si quelqu’un lui avait porté préjudice. Là, peu m’importait, mais j’ai toujours tout fait pour le tempérer, et lui faire admettre que, en critiquant, on retourne le public contre soi. D’un ami, selon moi, d’un vrai, on doit pouvoir tout entendre sans jamais juger. Tant et si bien qu’à la longue, en traitement homéopathique, il a changé, et les critiques qu’il portait auprès de certains étaient faites dans un but constructif. Je pense lui avoir appris à aimer les gens dans toute leur vérité.

Il n’était pas vraiment diplomate… c’était là son moindre défaut. Au retour de l’Annapurna, sous le choc de ce qu’il avait vu, et de ce que Herzog leur avait fait subir, il s’était aigri. J’ai terriblement lutté (tout en l’approuvant dans son jugement, car j’ai aussi écouté Lachenal avec lequel nous étions beaucoup liés). Je voulais lui faire entendre que dans un cas tel que celui-ci, cela risquait de se retourner contre soi. C’est là qu’il faut le doigté d’un homme politique : le dire sans le dire.

 

Tout ce que je dis sur la vallée, est encore pareil actuellement. Par Pierre Folliguet qui me rapporte, rien n’a évolué. Depuis qu’il est rentré des USA et revenu séjourner dans cette vallée, il a tout appris sur moi, jusqu’à la longueur (plutôt le raccourci) de mes shorts, car j’étais la seule habitante de Chamonix à m’habiller comme cela tous les jours des mois d’été. Le curé était allé jusqu’à en parler un jour de prêche.

Là, on découvre une fois de plus l’ouverture d’esprit de Gaston. Quand nous nous sommes rencontrés, il n’y avait guère que quelques années (4 ou 5 ans) qu’il était à la Compagnie, et avec le sévère et rigide Armand Charlet (« Charmant Arlet » comme l’appelait Contamine), il aurait pu être gêné de sortir puis d’épouser une personne ayant autant d’audace, car j’étais absolument la seule à porter des shorts. Quand Gason me demandait d’aller faire pour lui une commission au bureau des guides (le tout petit bureau avec les guides assis sur des bancs et qui se trouvait à droite de la mairie), j’enfilais une jupe parce que la première fois que j’y étais allée en shorts (on devinait les fesses), tous ces guides avaient les yeux sur mes cuisses, d’un air mi-choqué, mi-réprobateur, mais en rien concupiscent, qui m’a ôté l’envie de recommencer.

Jamais Gaston n’a émis une idée sur ces shorts, alors que je sais maintenant que cela choquait les « Chamoniards ». Par contre, ils plaisaient aux clients – amis. Je pense avec le recul, que ces clients : le dr. Nouveau, Beylier, Habran, Guillemin, Bernard, Mazais etc. ont peut-être encore plus apprécié Gaston en découvrant un homme qui n’avait pas craint de s’unir avec une femme qui était hors norme chamoniarde, d’autant que je sais qu’on lui destinait la jolie Poupette Payot, aujourd’hui Marliave, et que si ça a été une déception qu’il n’épouse pas une chamoniarde, c’était risqué pour lui de le faire."

 

(Françoise Rébuffat 1995)

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Commentaires
P
Et encore, Françoise Rébuffat circonscrit bien son propos, se retenant de dire tout de qu'elle sait. Que gagne le Chamonix des années 1950 à être comparé aux pays arabes des années 2000 ? On se le demande.
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Y
Bien sûr, on peut comprendre que des Chamoniards aient pu être choqués en voyant une jeune femme déambuler en short. <br /> Et il est vrai que beaucoup de choses ont changé après 1968. <br /> Mais précisément, c'est pourquoi ce témoignage est... intéressant. Et pittoresque.<br /> C'est pourquoi je l'ai publié.
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C
Je ne connais pas beaucoup M et MME REBUFFAT, mais je comprends que les gens de Chamonix aient pu être choqués par les shorts dans les années 50, surtout en montagne. C'est simple à comprendre.<br /> <br /> N'oublions pas que 1968 a libéré un peu les conventions.<br /> <br /> Je compare un peu cela aux touristes qui vont dans les Pays Arabes et qui visitent les sites en short ou maillot de bains (j'ai vu) il y a là un piétinement de la noblesse des lieux et des gens.
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F
C'est un bel hommage au couple que formait monsieur et madame Rebuffat. Je suis contente de les avoir rencontré ils influencent ma vie.Il était droit et paisible, elle était énergique enthousiaste et respectueuse de toutes les différences très lucide aussi avec un beau regard sur la vie, elle était de tous les temps et bien ancrée dans son temps.
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