Quand "L'humanité" manque d'humanité...
D'abord la photo en une :
...déjà, ça ne sent pas très bon.
*
Ensuite, l'article, avec son titre :
C'est difficile à lire. Alors, le voici en texte. C'est plus facile pour les yeux, mais pour le cœur, c'est plus dur. Truffé d'erreurs, d'inexactitudes, et surtout de jugements insupportables du genre : "Ils se lançaient dans cette aventure, trop certains qu'en cas d'échec l'avion, la radio et les hommes les en sortiraient." . Ou plus loin :"Les conquérants à la petite semaine, de 1956", Ou encore : " Les candidats au suicide." et la conclusion :" La lamentable équipée de Vincendon et Henry."
Cet article est paru dans L'Humanité Dimanche du 6 janvier 1957. Les parents de Jean Vincendon sont-ils tombés sur ce papier ? J'espère que non.
Voici ce texte :
Tant
de vies en jeu pour deux imprudents ?
(De notre correspondant particulier à Chamonix : Floréal DABLANC)
La conquête de la montagne n'est qu'un épisode dans ce besoin d'aventure
qui sommeille au cœur des hommes. Jacques Balmat fut considéré en son temps comme un fou
lorsqu'il voulut monter au mont Blanc, « dans les glacières », comme on disait vers 1785. Son aventure n'était déjà plus qu'une
promenade au
début de ce siècle ; pour la corser, les alpinistes vont maintenant au mont Blanc en plein
hiver. Nous ne leur cacherons pas notre admiration, mais il semble prouvé qu'à présent on
compte un peu trop sur
l'aide de ceux
qui sont restés dans la vallée, au cas où la course viendrait à échouer. Balmat n'espérait pas un
quelconque secours,
s'il s'était trouvé
bloqué au mont Blanc. Il lui est d'ailleurs arrivé d'y passer trois jours et deux nuits perdu à plus de 3.000 mètres.
A
notre époque, les nombreux
disciples de Balmat comptent trop sur les secours. Vincendon et Henry, avant de
partir, disaient à leurs camarades : « Nous mettrons quatre jours pour
traverser le mont Blanc à ski pendant les Fêtes de Noël. N'alertez personne
avant le 26 décembre au soir. »
Ils
se lançaient dans cette
aventure, trop certains qu'en cas d'échec l'avion, la radio et les hommes les
en sortiraient. Leur cas n'est pas unique et ceux qui ont fait de la montagne
leur gagne-pain (les guides) passent maintenant le plus clair de leur temps à sauver
ceux qui ont voulu se passer de leur concours.
Des sauvetages parmi les plus mémorables
Les
sauvetages mémorables ne se comptent
plus. En ne relatant que les tout derniers, nous avons tous à l'esprit le
sensationnel sauvetage de Raymond Lambert et de sa cliente, en janvier 1938,
aux Aiguilles du Diable. Paul Demarchi, le guide chamoniard, y laissait ses
orteils pour les ramener dans la vallée.
Plus
près de nous, en 1948,
Piegay et Georges Lambert passaient huit jours au Pavé, dans l'Oisans, avant
d'être arrachés à la mort. Leur sauvetage avait demandé la participation de
plusieurs dizaines d'hommes et avait coûté une somme énorme.
Il y
eut aussi le tragique sauvetage de l'Olan, en septembre 1949. L'alpiniste
Woltram, le crâne fracturé à 3.500
mètres, n'avait dû son salut qu'à l'intervention rapide des secours.
En 1955,
dans la face est du (Grépon, Camerini et Lerouley ont mobilisé une centaine d'hommes pendant dix jours avant d'être arrachés à
la mort (nos photos).
Nous
passerons sur les innombrables sauvetages qu'ont effectués les troupes alpines ou la compagnie des guides
de Chamonix. La grande presse ne relatant que par quelques lignes des exploits
qui tiennent du miracle.
Il s'agit
maintenant de sauver les sauveteurs
Nous en arrivons à l'une des expéditions
les plus spectaculaires de l'histoire de la montagne : celle de Vincendon et
Henry. A l'origine, il s'agissait de la vie de deux hommes, mais au bout de
quelques jours le vrai sauvetage est devenu celui des sauveteurs. Jamais autant d'hommes n'avaient touché, de près ou de loin, à
une expédition de ce genre. Jamais des sommes aussi
considérables n'avaient été englouties
pour récupérer deux vies humaines. Le samedi 29 décembre, le meilleur
hélicoptère du monde, aux mains d'un excellent pilote (Santini), s'écrasait au Mont
Blanc.
Va-t-il
donc falloir interdire la montagne aux alpinistes ? Il n'est pas possible de répondre par l’affirmative à une telle question.
A-t-on interdit à des Lindberg ou à des Mermoz de traverser les océans ?
Ceux-ci avaient au moins le mérite de partir en n'engageant qu'eux-mêmes. Les
conquérants à la petite semaine, de 1956, ne comptent plus assez sur eux-mêmes.
Et les guides — professionnels de la montagne — en arrivent maintenant à
risquer journellement leur vie pour sauver ceux qui font fi de leur savoir.
Ce
sauvetage est une expérience. Jamais, des
engins mécaniques n'avaient été utilisés en haute montagne et dans des
conditions aussi difficiles. Le sauvetage par hélicoptère n'en est encore qu'au
stade de l'expérimentation. Par contre, ce qui est plus valable, l'expérience
des hommes, si elle est pleinement utilisée par rapport aux lois de la nature,
a fait ses preuves.
Nous
avons l'impression qu'à Chamonix, des
rivalités contraires à l'intérêt des victimes présentes ou à venir sont entrées
en jeu. Le mercredi 26 décembre, seuls les camarades de Vincendon et Henry
partaient en reconnaissance. Le jeudi, le pilote Guiron survolait l'itinéraire.
Il
faut en arriver au vendredi, soit quarante-huit heures après l'alerte, pour qu'un hélicoptère prenne
l'air, emportant un guide de Saint-Gervais. Tous les montagnards connaissent
l'émulation existant entre les guides de Saint-Gervais et ceux de Chamonix.
Cette
« rivalité »,
pourrait-on dire, n'est pas nouvelle, elle date de l'époque des cristalliers,
de l'époque de la conquête du mont Blanc. Le sauvetage du « Malabar-Princesse »
nous en avait donné une éclatante preuve. Pour le sauvetage de Vincendon et
Henry, plusieurs volontaires de la compagnie chamoniarde des guides s'étaient
offerts pour partir au mont Blanc. Saint-Gervais semblait prendre l'initiative
des opérations. Mais le samedi, c'est l'armée seule qui dirige le sauvetage.
C'est à ce moment que Lionel Terray tente d'arracher la victoire au profit
des montagnards en général. Mais son équipe
est composée trop rapidement. Et cette précipitation le fait échouer.
Dans
toute cette histoire, il apparaît
très, clairement qu'il ait manqué une direction à l'ensemble des opérations.
Les
responsabilités
II a
fallu ce drame pour constater d'une façon cruelle le manque total d'équipement des refuges du mont
Blanc, qui ne sont pas, rappelons-le, propriété de l'Etat, mais appartiennent
presque tous à un club privé : le Club Alpin français.
« Vallot » n'est qu'un simple bidon de tôle
percée, «Les Grands Mulets », une ruine aux fenêtres crevées, « Le Goûter »,
une cabane aux planches disjointes. Si nos refuges étaient équipés au titre
d'un plan touristique (les stations d'hiver le sont bien), s'ils étaient
simplement corrects, nous serions sans souci pour les sauveteurs. Quant aux difficultés
qui ont empêché Lionel Terray de parvenir jusqu'aux accidentés, c'est surtout
le risque énorme d'avalanches qu'il faut placer en premier.
Comme
en témoigna le communiqué de
la Compagnie des Guides de Chamonix que nous publions par ailleurs, un cas de
conscience est désormais posé : ceux qui exposent leur vie avec tant de
légèreté, sont-ils en droit d'attendre que plusieurs dizaines de leurs
semblables risquent la leur pour les sauver ?
La montagne, qui n'a jamais exercé un attrait si grand
sur la jeunesse et les sportifs en général, doit être équipée pour recevoir les
centaines de milliers d'alpinistes ou de skieurs qui y trouvent joie et réconfort.
Mais elle ne doit en aucune façon être un terrain d'exercice pour les candidats
au suicide. C'est sans doute la grande leçon de la dramatique et lamentable
équipée de Vincendon et Henry.
***
Quelques erreurs :
- "« Nous mettrons quatre jours pour traverser le mont Blanc à ski pendant les Fêtes de Noël. N'alertez personne avant le 26 décembre au soir. » Ils se lançaient dans cette aventure, trop certains qu'en cas d'échec l'avion, la radio et les hommes les en sortiraient."Faux. Ils n'ont jamais parlé de "traverser le Mont Blanc à skis" (ils étaient particulièrement mauvais à skis !), et ils ne comptaient pas sur les guides pour leur venir en aide en cas de problème. Je peux l'affirmer, car j'ai sous les yeux leur correspondance. François Henry avait demandé à son ami Jean Leconte, un grimpeur belge, de se tenir prêt en cas de problème.
- L'évocation du sauvetage de "Raymond Lambert et de sa cliente" aux Aiguilles du Diable en 1938. Le journaliste parle du "sauvetage de Raymond Lambert et de sa cliente", il ne parle pas du sauvetage du client du guide suisse Raymond Lambert qui était parti avec une cliente et un client. La raison?... C'est qu'il y a eu 2 sauvetages. L'un "express", et l'autre "normal", celui de Marcel Gallay qui a publié un livre très intéressant :"La tragédie des Aiguilles du Diable" (1952). J'y reviendrai.
- le sauvetage de Piegay et Georges Lambert en 1948, dans l'Oisans, n'a pas coûté des sommes énormes, il a été effectué par des alpinistes amateurs bénévoles.
- "Le samedi 29 décembre, le meilleur hélicoptère du monde, aux mains d'un excellent pilote (Santini), s'écrasait au Mont Blanc." Faux : le Sikorsky n'était hélas pas le meilleur hélicoptère du monde, l'intervention tardive de l'Alouette l'a prouvé quelques jours plus tard, et le pilote n'était pas le commandant Santini, mais l'adjudant Blanc.
- "Pour le sauvetage de Vincendon et Henry, plusieurs volontaires de la
compagnie chamoniarde des guides s'étaient offerts pour partir au mont Blanc". Inexact. Si deux guides se sont portés volontaires, c'est à titre personnel. Ils ont rejoint les amis alpinistes de Vincendon et Henry, contre l'avis de la Compagnie. Voici la position de la Compagnie des guides publiée dans le même article de l'Humanité Dimanche:
***
Les guides
de Chamonix : Les sauveteurs ont le droit de peser les risques
auxquels ils s’exposent
Le 2 janvier, la Compagnie des Guides de Chamonix rendait public un communiqué qui condamne avec
vigueur la conduite de Vincendon et Henry. Ce texte, que nous publions ici, s’élève aussi contre
certains propos tenus par l’alpiniste
Lionel Terray à l’encontre de ses camarades.
La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui
est la conséquence d’un état de fait que nous dénonçons depuis plusieurs années.
Nous rappelons, en effet, un communiqué que la presse a reçu le 1er
Juillet 1956, Le comité de direction des guides de Chamonix
demande qu’on adresse une mise en garde largement diffusée aux alpinistes qui,
par esprit de compétition, négligent les conditions de la montagne dans leur
marche d’approche ou de retour et à ceux qui, par esprit de vanité,
entreprennent des courses au-dessus de leurs possibilités et de leur
compétence. Car les uns et les autres font bon marché des risques auxquels ils
exposent les sauveteurs dont ils escomptent l’intervention. Nous estimons que Vincendon
et Henry se sont placés volontairement dans cette situation exceptionnelle, en
dehors de la saison normale d’alpinisme et que des sauveteurs éventuels ont le droit de peser les risques
auxquels ils s’exposent les guides, jeunes, susceptibles de partir, ont presque
tous des enfants en bas âge, certains ont une famille nombreuse. Ils ont le
droit et même le devoir de peser le risque de priver leur famille de son seul
soutien. Si les risques ne sont pas excessifs, ils les acceptent comme ils l’ont
fait le 22 décembre dernier à 21 heures en se portant an secours d’un alpiniste
en détresse par 20 mètres de fond dans une crevasse du glacier d’Argentière.
Cet alpiniste a été ramené sain et sauf le lendemain matin après une nuit d’efforts
par 20 degrés au-dessous de zéro.
Si les
risques dépassent une proportion
acceptable, ils sont seuls juges et personne n’a le droit de leur faire grief
de s’abstenir. On ne peut, même pour sauver deux hommes, exposer avec certitude
la vie de 10 ou 15 sauveteurs et
faire de nombreux orphelins qui seront les victimes innocentes et vite oubliées d’un fait divers.
Lorsque
l’alerte a été donnée jeudi 27,
nous affirmons que ce risque était trop grand pour entreprendre une tentative
par les Grands-Mulets. Nous allions vers la réédition de l’accident René Payot.
Il ne faut pas oublier en effet, comme l’oublie Terray, qu’une chute de neige
de 40 à 50 cm. s’est produite mercredi 26. Cette couche de neige non stabilisée
aurait fait courir des dangers énormes à des hommes empruntant cet itinéraire. Terray
s’y est engagé dimanche et lundi, c’est-à-dire 4 à 5 jours après, alors que la
neige s’était stabilisée.
Il
reconnaît que la chute de neige
survenue mardi 1er, pourtant d’une importance moindre à celle de la
semaine précédente, faisait courir à sa caravane des risques tels qu’il a abandonné :
c’est du moins le motif qu’il donne. Nous affirmons que jeudi et vendredi la
situation était aussi et même plus
dangereuse.
Nous
regrettons, d’autre part, qu’un alpiniste comme Terray se permette de blâmer ses camarades qui ont pour beaucoup à
leur actif un palmarès de sauvetage supérieur au sien. Nous regrettons surtout
que, dans sa déclaration à Europe No 1, il minimise ce qu’ont fait les guides
moniteurs de l’E.H.M. : ramener au refuge Vallot les deux pilotes dans les
conditions où ils l’ont fait était une tâche à la limite des possibilités
humaines et ils ont droit à l’admiration de tous. Quand à dire qu’ils pouvaient
remonter Vincendon et Henry, à condition qu’ils le veuillent, c’est, de la part
de Terray, de l’inconscience ou une erreur de jugement totale. Cette tâche est
impossible pour six hommes, dans les conditions actuelles, et nous l’affirmons
au nom de l’expérience de tous les guides qui ont participé à des centaines
de sauvetages depuis que notre compagnie existe.
Insinuer
qu’ils ne l’entreprennent pas, par mauvaise volonté, est criminel à l’égard de ces hommes qui
étaient et sont encore en danger de mort. Lionel Terray n’a jamais cherché à
contacter les guides de Chamonix et nous pouvons lui dire qu’un sauvetage n’est
pas une entreprise de publicité.
Nous
espérons que ce tragique
accident incitera les alpinistes éventuels à plus de prudence et plus de
modestie dans leurs entreprises et qu’une prise de position officielle leur
fera comprendre que d’être secouru n’est pas un droit, quand on s’est mis
sciemment dans une position dangereuse, qui expose aussi la vie des sauveteurs.
Le
comité de direction des
guides exige que Lionel Terray rétracte publiquement les affirmations erronées
qu’il a faites concernant ses camarades guides, sinon nous considérons qu’il a
commis une faute grave en essayant de tacher la réputation de tous les autres guides
et que son exclusion de la compagnie des guides de Chamonix s’impose.
Signé : LE COMITE DE LA COMPAGNIE DES GUIDES.