Les photos de Maurice Herzog n'ont pas été prises au sommet de l'Annapurna. A combien de mètres était-ils dans la pente où il a brandi ses fanions à bout de piolet ? Il prétend que le sommet lui arrivait à la taille. Ce qui est à l'évidence inexact, d'une part, au vu de la photo, d'autre part du fait que la prise de vue a été effectuée en contre-plongée, ce qui déforme la perspective. Au demeurant, l'arête file à droite, jusqu'au bord de la photo, sans découvrir le sommet. Jusqu'où ? Mystère. Donc, il est impossible de situer le "Vainqueur de l'Annapurna" par rapport au sommet.
Alors?... On se demande à quoi peut bien ressembler ce sommet... Est-il si pointu qu'on ne puisse s'y tenir le temps d'une photo ? Comme l'Aiguille de Roc sur laquelle se dresse élégamment Gaston Rébuffat sous l'oeil de son ami photographe Georges Tairraz ?
Non. En cherchant d'autres photos, prises par les alpinistes qui ont gravi l'Annapurna depuis 1950, j'ai trouvé celle de Jean-Christophe Lafaille. Cette fois, le sommet ne fait aucun doute. De même, il ne fait aucun doute qu'il est possible de s'y faire photographier, quand bien même l'arête sommitale est partiellement cornichée.
Voici une autre photo du sommet. Elle a été prise par l'équipe qui accompagnait l'apiniste espagnole Edurne Pasaban Lizarribar. Là encore, le sommet est bien visible. Et cette fois, aucun doute, il lui arrive bien à la taille...
Bon... En cherchant bien, j'ai trouvé une autre représentation du sommet de l'Annapurna. Elle est d'époque, c'est-à-dire de 1950. Avec Herzog et Lachenal.
Si Herzog et Lachanal avaient été photographiés comme le représente cette gravure étonnante, il n'y aurait jamais eu de doutes sur la réalité de leur "conquête" ! Mais il est peu probable que l'artiste (G. de Gaspari) ait vu de ses propres yeux le sommet de l'Annapurna. De quels photos s'est-il inspiré ? Sans doute d'aucune, juste de son imagination, transportée par les récits héroïques de l'époque.
Un document étonnant. Non ?...
Je suis fasciné par ce débat sur la véracité de la conquête du sommet. Comme j'adore les histoires héroïques, j'ai envie de croire au récit d'Herzog (mais je l'admets parfaitement, il semble difficile d'établir une certitude dans un sens ou dans un autre).
Néanmoins je note :
- que sur les photos moins connues, que vous publiez ailleurs sur ce blog (merci encore), celles avec le drapeau de Kleber-Colombes donnent déjà d'avantage l'impression qu'Herzog est vraiment tout proche du sommet
- qu'en regardant attentivement celle de Lafaille, le degré de déclivité ainsi que le fait qu'aucun véritable pointement n'émerge de l'arrête font apparaître des similitudes avec la photo d'Herzog.
De plus, j'ai trouvé ce texte de l'alpiniste Henri Sigayret, qui a gravi l'Annapurna, qui parle de "l'affaire Herzog". Ce monsieur n'est pas un "pro" Herzog, il se permets dans son texte de nombreuses critiques (je peux vous envoyer le document entier si vous le souhaiter). J'en copie ici uniquement la partie relative au sommet.
HERZOG : Un petit détour sur la gauche, encore quelques pas… L'arête se rapproche insensiblement. Quelques blocs rocheux à éviter. Nous nous hissons comme nous pouvons. Est‐ce possible? Mais oui un vent brutal nous gifle Nous sommes … sur l'Annapurna… Notre coeur déborde d'une joie immense. Ah, les autres s'ils savaient.
SIGAYRET : Je confirme, au sortir du couloir, l'arête Est, est toute proche, il faut, à la sortie du couloir se diriger vers le sommet qui est tout proche (mais pas à gauche), droit au‐dessus ou très légèrement à droite. Combien de mètres? Je suis incapable de répondre. Par contre il y a biensous le sommet un (deux?) rocher. J'estime aujourd'hui sa hauteur (la partie visible doit être variable selon l'enneigement), à environ 50 cm à un mètre. Il est moins haut que le sommet, il ne se découpe pas sur le ciel. Versant Nord, la pente est courte mais assez raide (elle était en glace le jour où nous y étions, je me suis tenu à quatre pattes, en pointes avant. Je n'ai vu de la face Sud, la partie visible est peu raide, que quelques mètres. Nuages? Plutôt neige chassée par le vent). Je n'ai pas osé me mettre debout (vent, fatigue, glace). La position d'Herzog sur la photo prise par Lachenal sur laquelle il brandit un piolet orné du drapeau français est logique, elle correspond parfaitement aux lieux que j'ai en mémoire. Le sommet doit être à la hauteur de la taille ou des épaules d'Herzog. La présence d'autres blocs est tout à fait concevable suivant l'enneigement. Mais le contraire est possible: sur une photo on voit J.C. Lafaille (traversée Roc noir Annapurna) debout sur le sommet qui est entièrement neigeux légèrement en corniche côté Sud, alors que des rochers apparaissent quelques mètres plus bas. Par ailleurs, il n'y a sur l'arête Est aucun véritable pointement qui émerge. Je l'affirme, il est évident qu'Herzog et Lachenal sont bien allés au sommet.
Cher Yves Ballu, savez-vous s'il existe d'autres témoignages d'alpinistes ayant gravi le sommet et ayant exprimé une opinion sur le "cas Herzog", à partir des photos prises par Lachenal et de la description faîte dans "Annapurna premier 8000".
Merci d'avance et encore merci et bravo pour ce blog.
Bien Cordialement