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Le blog d'Yves Ballu, Cairn
17 novembre 2013

100 000 dollars pour l'Everest

 

 

Couverture_redimensionner

 

« L’Everest, pour des mecs qui n’en ont rien à battre de la montage, y’a pas pire châtiment ! »

Basile, un guide d’origine citadine reconverti en éducateur de rue, les a prévenus. Mais avec une prime de 100 000 dollars à la clé, Freddo, Karim et Kevin qui n’ont jamais mis les pieds en montagne, sont prêts à prendre tous les risques. C’est précisément ce qu’escomptait le président Laurier, sponsor de cette expédition improbable. Il espère ainsi venger sa fille Caroline qu’ils ont sauvagement agressée dans le RER.                                              

Pour Basile, il s’agit d’un double challenge : ramener les trois voyous sains et saufs,et les conduire sur le chemin de la rédemption par la montagne. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est la rencontre à huit mille mètres d’altitude avec un alpiniste en perdition et les conséquences dramatiques de sa décision...

Parfois, les hommes sont plus dangereux que la montagne, car la montagne ne connait ni haine, ni vengeance.

 

Cette semaine en librairie

Publié aux Editions du Mont Blanc, c'est mon troisième roman. Meilleur ou pire que les précédents?... A vous de juger.

Voici quelques extraits pour vous donner envie de vous précipiter chez votre libraire le plus proche, ou plus simplement de le commander directement sur le site des Editions du Mont Blanc.

 

***

À la table VIP, l’ambiance est de plus en plus chaude. La température, d’abord. Les entrailles de la Grange aux belles sont une véritable étuve dans laquelle les boissons – surtout alcoolisées – s’évaporent aussi vite qu’elles sont ingurgitées. Le niveau sonore qui réduit les conversations à des échanges de hurlements. Les esprits enfin, surchauffés :

— On a gagné ! On a gagné !

— N’empêche, on revient de loin : encore un peu, et on se faisait sortir en huitième par le Paraguay. Si Laurent Blanc avait pas marqué le but en or à la cent quatorzième minute…

— Un but, ça suffit pour gagner !

— Et en quart contre l’Italie, on en a pas marqué, de buts : zéro à zéro après les prolongations.

— Comment c’était puissant, les tirs aux buts : à trois partout, Di Biagio qui la cadre pas ! Il nous envoie en demi !

— Heureusement que Thuram s’est réveillé contre la Croatie : lui qui avait jamais marqué en cent quarante-deux sélections, il leur en met deux !

Kevin se lève :

— Et la finale ! J’oublierai jamais ! C’est le plus beau jour de ma vie ! Même à dix, on leur a mis trois–zéro ! Il est trop fort, Zizou ! Et Barthez, dans les cages, comment il a assuré ! On a gagné ! On a…

D’un revers de main, Freddo coupe court pour apprécier la faconde syncopée de Joeystarr : « Tu es ma mire, je suis la flèche que ton entrejambe attire / Amour de loufiat, on vivra en eaux troubles, toi et moi / Mais ce soir faut qu’ça brille, faut qu’on enquille » :

— Comment il gère, ce DJ ! C’est mortel, NTM !

Hochant la tête en rythme, ils sont une douzaine, groupés sur deux opulentes banquettes circulaires autour d’une table encombrée de bouteilles, de canettes et de paquets de cigarettes : l’auditoire de Freddo. Tandis que Kevin mime le rappeur, Karim tripote sa voisine, une fille aux cheveux très noirs et très courts, avec un piercing dans le sourcil gauche. Visiblement pas intéressée.

— Vas-y, Marcela, fais pas ta relou !

L’encouragement de Freddo est reçu cinq sur cinq par Karim qui lui renvoie un geste obscène. Kevin éclate d’un rire écarlate qui finit en quinte de toux.

— Avec Karim, on a ambiancé une belette dans le reur. Trop bonne ! Genre grande classe, une tête d’actrice. J’te dis, la bombe parfaite !

— Comment c’était mortel ! témoigne Karim.

— Elle était trop fraîche… souffle Kevin avec un air attendri. Je l’aurais bien angoissée.

— Raconte…

— Qu’est-ce que tu veux qu’il raconte, l’autre Calimero, il a rien angoissé, ironise Freddo. Demande plutôt à Karim comment il l’a chauffée !

— Au début, elle était pas trop chaudasse, mais quand elle m’a vu, elle a craqué direct sur mon style !

Freddo illustre les propos de son comparse par un mime explicite. Les autres rigolent. Enfin, pas tous. Marcela, qui en a décidément marre des avances de son voisin, l’écarte sans ménagement :

— ¡ Rajá de acá, boludo ! Karim, arrête de me coller ! T’imagine pas que je vais me laisser faire comme l’autre dans le RER !

— C’était une bourge, se défend Freddo.

— Et alors ? Bourge ou pas, ça se respecte, une fille ! Et puis, lâche-moi, j’t’ai déjà dit !

Elle le dégage cette fois d’un violent coup de coude.

— Fais pas ta mijaurée, je sais que tu me kiffes.

— Tu peux toujours rêver !

— Là, tu me respectes pas, Marcela ! Les meufs qui me kiffent pas, elle sont racistes. Hein, Freddo ?

La réponse tarde à venir. Freddo est en train de regarder sa montre. Il la trouve décidément très belle :

— Comment elle est fashion !

— Elle vient des States, précise Karim.

— Freddo, il a aussi des dollars, renchérit Kevin.

Le susnommé coupe court :

— Va dire à Moussa qu’il fasse péter le champagne. On va pas pitancher de la bière toute la nuit. Ce soir, c’est moi qui rince. Yes, mon frère, comment on a assuré dans le reu reu ! On va fêter ça !

*******

— Qu’est-ce que t’en dis, Freddo ?

Rien.

À la différence des autres, il réfléchit avant de parler – lui.

Et l’idée qui vient de lui traverser l’esprit est tellement géniale qu’il ne peut réprimer un sourire : Y’aura personne là-haut pour vérifier qu’on a bien été au sommet ! Il aimerait en faire part à ses comparses, mais ce sera pour plus tard. Il se limite à un clin d’œil, histoire de leur faire comprendre qu’il a un plan. Avant de rendre la sentence :

— Cent mille dollars, on peut pas lâcher l’affaire.

Première manche. Reste la deuxième. Basile reprend le service :

— Bon. Et vous y allez comment à l’Everest ? En stop ?… Vous savez même pas si c’est en Amérique ou en Australie… Et vous vous équipez comment ?… En jean et en Nike ?… Et vous apprenez comment à vous servir d’un piolet, à remonter les cordes fixes, à cramponner dans la glace, à respirer dans l’oxygène rare ? Tels que vous êtes, vous avez pas une chance sur un million d’y arriver. Surtout en deux mois !

— Alors, pourquoi tu le proposes ? renvoie Karim.

— C’est pas moi qui le propose, c’est le père Laurier. Il veut votre peau. Et il pense qu’à cent mille dollars, vous allez mordre à l’hameçon, que vous allez partir à l’Everest et que vous n’en reviendrez pas.

— C’est un coup de bâtard, acquiesce Kevin.

— J’ai dit qu’à cent mille dollars, on lâchait pas l’affaire ! assène Freddo, le point d’exclamation étant assorti d’une baffe.

****

— Au premier de ces messieurs ! a proposé Basile.

D’un signe du menton, Freddo a désigné Kevin. Lequel s’est approché de la crevasse et l’a sondée avant de faire demi-tour :

— On voit même pas le fond !

— Vas-y ! a insisté Freddo. T’es obligé.

— Et pourquoi j’suis obligé ?

— Parce que si t’y vas pas, on n’aura pas nos dollars. Alors, magne-toi le cul !

Nouvelle approche de Kevin, cette fois en mode quadrupède. C’est ainsi qu’il s’est finalement engagé sur l’échelle. Et qu’il l’a traversée, barreau après barreau, jusqu’à la rive opposée où il a enfin pu saisir la main du sherpa. Ce fut ensuite au tour de Karim. Pas plus fier que son prédécesseur. Après quelques ricanement, atermoiements et protestations vivement balayés par Freddo, il s’est mis en position – la même que Kevin – mais au lieu d’hésiter entre chaque barreau, il a filé comme un lapin, se gardant bien de sonder les entrailles de la crevasse. Restait Freddo.

Bien embarrassé :

— Y’a un autre moyen, non ?

— Quel moyen ?

— J’sais pas… Faire le tour ?

— Parce que tu crois que ceux qui ont mis des échelles, c’était pour le plaisir ? Alors, tu te décides ?

Basile l’a mousquetonné sur la main courante :

— Regardez, les autres, le grand chef Freddo va vous montrer de quoi il est capable.

Grand chef a-t-il perçu le ricanement de ses acolytes ? Il leur a jeté un regard annonçant des représailles sanglantes avant de s’installer à califourchon sur l’échelle, jambes pendantes de chaque côté des montants. Par une succession de soubresauts, il a progressé ainsi, décimètre après décimètre, se déhanchant d’un côté puis de l’autre, en appui sur les mains, jusqu’aux derniers barreaux sur lesquels il s’est immobilisé un long moment avant de s’agenouiller avec d’infinies précautions et de se relever en tendant la main au sherpa. Ouf !…

***

Freddo lui rétorquait à chaque fois : « Tu vas voir si on est pas capables. On va lui fumer la gueule, à ton putain d’Everest ! » Et pour une fois, Freddo ne s’est pas trompé… Ils ont marché jusqu’aux limites de leurs forces.

Jusqu’au bout.

Jusqu’au sommet…

Ensuite, tout a basculé dans la vie de Kevin. Tout ce qui s’était passé avant est devenu insignifiant.

Il en aurait presque oublié que la France était championne du monde.

Non, il n’a pas oublié.

Mais il s’en fout.

Vraiment.

Il ne se prend plus pour Fabien Barthez. Il a fait mieux que le « divin chauve » : il a gravi l’Everest !

Le bracelet électronique, il l’a balancé, mais il a conservé une preuve : le petit caillou. Toujours dans sa poche. Donc il ne rêve pas.

Il plane…

À huit mille huit cent quarante-huit mètres.

Jamais il n’oubliera ce mercredi 30 septembre 1998 !

Ce jour-là, il a éprouvé un sentiment nouveau. Tellement nouveau qu’il a mis du temps à comprendre. Au début, il a pensé que c’était de l’orgueil. Mais Basile lui a expliqué que l’orgueil ne dure qu’un temps. Que c’est un sentiment narcissique, brutal, revanchard, qui ne débouche pas sur le bonheur. Il lui a conseillé de réfléchir : « Cherche un peu… ça vaut la peine, tu verras. » De fait, ce qu’il ressentait était à la fois plus puissant et plus joyeux. Presque jubilatoire. Il a fini par trouver : c’était de la fierté. Ce sommet lui appartenait. Cette ascension, ces efforts, ces risques, il ne les avait volés à personne. Dans les jours qui ont suivi, il a découvert quelque chose qu’il ne connaissait pas, et dont il ignorait même le nom : l’estime de soi. C’est Basile qui lui a expliqué. Avant de lui faire lire un beau poème de Kipling, « Tu seras un homme mon fils ».

Devenir un homme ?…

Pour un peu, il était prêt à y croire.

***

Elle n’a pas l’air de souffrir. Sa respiration est régulière. Paupières closes, elle dort.

Vraiment ?…

Jamais encore il ne l’avait vue dormir. Ni elle, ni les autres, d’ailleurs. En général, il s’en va. Ou il les réveille. La vie est si courte.

Fondu enchaîné : la moue désabusée se mue en un sourire énigmatique. Les yeux restent figés en mode coma.

— Ferme la porte.

— Tu me parles, là ?

Cette fois, les paupières libèrent le regard de la Musaraigne. Toujours aussi noir, aussi perçant.

— T’as mis le temps…

— Comment t’as su que c’était moi ? Tu m’as vu entrer ?

— Y’a pas que les yeux pour reconnaître quelqu’un. Surtout toi !… Je t’expliquerai.

Du couloir, parviennent les bruits ordinaires d’une nuit d’hôpital. Plaintes, ronflements, toux… Le chariot se rapproche. Les pas de l’infirmière également.

— Tu veux pas fermer la porte ?

 Elle n’a pas l’air trop mal en point, l’Indestructible. Ses yeux sont cernés d’un halo de bleu mauve qui lui donne un air de clown triste, genre Gelsomina. Et sur son visage, les stigmates de sa chute commencent à s’estomper.

— Alors, tu vas t’en tirer ?

— Tu veux dire que je vais me tirer.

— Quoi ?

— Je vais m’escarpater. J’ai plus rien à faire ici.

Basile jette un œil affolé au tuyau de la perfusion, aux fils qui cheminent depuis les appareils électriques jusque sous les draps :

— Ça va pas, la tête !

— Justement si. Regarde-moi dans les yeux…

Toutes les mêmes…

Obéissant, il la fixe quelques secondes :

— Tu ne remarques rien ?

— Non.

— Bravo !

— C’est bien ce que je dis : t’es complètement barge !

— Ils sont pareils ! Ça veut dire que l’hématome est fini. Le toubib m’a expliqué. Y’a plus de mydriase. Je t’expliquerai. J’ai chouravé des médocs. J’peux me démerder toute seule. Pour les piqûres, j’te laisserai faire. Allez, on y va, querido ?

Décidément…

Basile frissonne en imaginant l’évasion de la Musaraigne. La partie de cache-cache entre couloirs et ascenseurs, le transport sur la moto… Il comprend pourquoi elle lui a demandé de fermer la porte. Si l’infirmière avait entendu ! Il lui faut quelques secondes pour trouver la parade :

— Tu vas tout de même pas sortir en nuisette !

— J’en ai pas.

La preuve : de son bras droit, celui qui ne porte pas de perfusion, elle dégage le drap.

— Hé, mais tu sais que t’es toujours plaisante à regarder !

— C’est vrai ?

C’est encore la main droite qui attrape Basile par le col de son blouson et l’attire vers le lit.

— Tu ne m’as même pas embrassée…

— Ça va pas ! Si la taulière rapplique et qu’elle nous voit en train de bien faire… Déjà qu’elle est à cheval sur les heures de visite ! Et puis, dans ton état, ça pourrait déclencher… comment il a dit l’autre toubib… un hématome extraconjugal. Arrête, la Musaraigne !… Si tu continues, j’vais plus pouvoir raisonner. Ah, putain !…

 

Chacun a repris sa place. Basile sagement assis sur la chaise, Marcela reposant paisiblement sur l’oreiller, le drap parfaitement tiré jusqu’au menton. Il était temps.

L’infirmière.

Pas celle aux stylos bille. Une autre. Plus petite, moins jeune, aussi inquiète.

Elle vient immédiatement prendre le pouls de la malade :

— Vous vous sentez bien ? J’ai eu une alerte en salle de contrôle. Votre rythme cardiaque est monté à cent quarante.

Silence, on compte.

— Soixante-quinze… Apparemment, c’est normal. Vous n’avez pas eu de malaise ?

— Juste une bouffée de chaleur.

 

 

 

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Commentaires
J
heureusement cela ne nuit pas à la qualité du "thriller"
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I
Bonjour, je viens de lire votre livre et j'ai été surpris, a plusieurs reprises, de vous voir indiquer que la hauteur de l'Everest est 8448m , le moment le plus croustillant étant a la page 93 quand vous localisé le ressaut Hillary a 8760m et qu'ensuite il reste plus qu'une bosse a montée pour que votre altimètre indique 8448m une fois le sommet atteint !!! Excellent !!!
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G
Bonjour,<br /> <br /> J'ai mis un petit compte-rendu avec quelques photos sur mon blog : http://snovae.free.fr/spip.php?article515<br /> <br /> <br /> <br /> Guillaume
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A
L’ascension du pavé à 100000 dollars est terminée; quel polar ! le premier chapitre est très dur c’est comme la cascade de glace. J'ai fait une pose de plusieurs jours. Puis j'ai repris avant-hier la lecture. Ce qui fut fait et bien fait. Et là entraîné dans la spirale ou l'ascension à nouveau. Une lecture à tombeau ouvert dans un monde de brutes, voilà ce que j'ai réalisé. Avec quelles sensations, avec quelles émotions ! on s’y croirait. On sent l'expérience du grimpeur confirmé qui puise dans ses souvenirs. Et alors miracle ! Même le vent on finit par le sentir quand on approche par la lecture aux altitudes des huit mille ! De l’Agatha Christie; et pour la fin, un peu de tendresse, bordel cela fait du bien car les émotions ont été fortes, très fortes. A cause d’un suspense voire de plusieurs qui durent. Et ils sont parsemés de multiples rebondissements. On pense que le dénouement est proche mais il n'est que provisoire.On sent très vite que le dénouement n'en est pas un car on sent qu’il y a encore quelque chose qui coince dans les histoires racontés par les différents personnages. Il y a quelque chose qui n’est pas logique, qui n'est pas de l'ordre de la raison et on ne peut donc pas s'en contenter. L'auteur nous reprend en main, conscient qu'effectivement le thermos il n'est pas plein de café...Cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu à cette vitesse, que je n'avais pas dévoré un lvre comme si je devais atteindre le sommet avant l’arrivée du mauvais temps …Je rêve. <br /> <br /> A lire de toute urgence.<br /> <br /> Alain
Répondre
J
Quelle rentrée littéraire : deux livres !
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